Par Emmanuelle DECHELETTE

Fondatrice des OLIO NUOVO DAYS, Paris & Abu Dhabi competition

Auteure de EXTRA VIERGE L’Huile d’olive Histoire d’Hommes & Recettes de Grands Chefs.

L’OLEICULTURE EN France

La France jouie d’une position centrale en Europe, avec la Méditerranée pour socle. L’olivier y plonge ses racines sur un territoire qui s’étend des Pyrénées orientales jouxtant l’Espagne (le Languedoc) jusqu’aux Alpes Maritimes et la frontière italienne (la Provence)… Au sud de l’Hexagone, en plein cœur du golfe de Gênes, la Corse possède une tradition oléicole en Balagne et dans la région de Bonifacio, respectivement au Nord et au Sud de l’île.

LES PLUS ANCIENS VESTIGES

Des feuilles fossilisées et des pollens fossiles attestent d’une présence en Provence et dans le Languedoc de l’olivier dès – 8 000 ans avant J-C mais le développement de l’oléiculture en France viendrait des Phocéens. Cette ancienne citée grecque d’Ionie sur la mer Egée a fondé de puissantes colonies (Marseille, Avignon et Nice en France, Empuries en Catalogne) qui ont développé la culture de l’olivier après avoir amélioré celle de la vigne.

Puis, sous l’impulsion des Romains, la culture de l’olivier s’est étendue à tout le Midi de la France. De nombreux vestiges attestent de son importance à l’époque gallo-romaine de Carcassonne à Vaison-la-Romaine.

AU MOYEN ÂGE

L’olivier est cultivé dans les villages du Midi de la France qui ont presque tous un moulin à huile. La circulation de l’huile d’olive est soumise à des taxes de péage spécifiques sur un axe Nice – Nîmes (Brignoles, Trinquetaille et Valensole). C’est un commerce saisonnier très lié aux rites religieux et notamment au Carême où l’huile d’olive joue un rôle essentiel au gré des nombreux fléaux qui touchent l’homme ou l’olivier, peste, disette, guerres et gels successifs. 

À L’EPOQUE MODERNE

Au XVIème siècle, l’huile d’olive française s’exporte au-delà du Midi de la France grâce au port de Marseille puis de Nice.

A partir du XVIIIème siècle, l’olivier est une culture importante et nécessaire à l’économie de nombreuses régions, notamment le Roussillon, le Pays d’Aix, le Comté de Nice. Les moulins «fleurissent», et se comptent par centaines dans le Midi de la France. A cette époque, de véritables oliveraies se développent ainsi que le commerce de l’huile d’olive. Les oliviers étaient jusque-là généralement éparpillés au milieu des autres plantations, en « olivettes » comme culture de complément.

Au XIXème siècle, le développement de l’oléiculture connaît son expansion maximale, notamment grâce à sa forte utilisation dans les industries artisanales (savon de Marseille…).

En 1840, la France comptait 26 millions d’oliviers sur 168 000 hectares.

E SAVON DE MARSEILLE, GUEST STAR DE L’HUILE D’OLIVE

Si la France a connu une gloire internationale avec l’huile d’olive c’est certainement grâce au savon de Marseille. Universellement connu, il est utilisé sur tous les continents et dans toutes les cultures, utile aussi bien pour le linge qu’en produit de beauté. Sa création remonte au Moyen Âge, et son procédé de fabrication est certifié à Marseille.  En 1688, le roi Louis XIV fait rédiger un «édit» pour les manufactures de savon spécifiant dans son article III «On ne pourra se servir dans la fabrique de savon d’aucune graisse, beurre ni autres matières ; mais seulement des huiles d’olives pures et sans mélange sous peine de confiscation des marchandises». Aujourd’hui, la désignation « savon de Marseille » n’est pas protégée. S’appuyant sur la loi du 17 mars 2014 qui a créé les indications géographiques protégeant les produits industriels et artisanaux, l’Union des Professionnels du Savon de Marseille a présenté la candidature du savon de Marseille à une indication géographique (IG) qui protégera à la fois le consommateur et le producteur des innombrables contrefaçons. Le savon de Marseille est la première spécialité industrielle et artisanale à briguer la reconnaissance et la protection apportée par une indication géographique.

Au XXème siècle, repli de l’oléiculture.

La production d’huile d’olive a progressivement cédé sa place à la vigne, plus rentable. Les gels (celui de 1929), la concurrence économique des huiles d’olive puis d’arachide coloniales, les premiers grands mouvements de l’exode rurale, accélérèrent cette déchéance jusqu’à la veille du gel fatidique de 1956. A cette date, la France ne compte plus que 8 millions d’oliviers sur 50.000 hectares. En février 1956, les températures inhabituelles (-20°C) qui frappent le Sud de la France arrivent après un mois de janvier particulièrement doux qui avait favorisé le réveil de la végétation. Les deux tiers des oliviers disparaissent, ne laissant sur la France continentale que 3 millions d’oliviers sur 20.000 hectares. L’île de beauté, épargnée elle par ces gels successifs, offre un paysage oléicole multiséculaire exceptionnel et unique en France.

Malgré cet événement qui semble sonner le glas de l’huile d’olive française, le verger oléicole renaît, immortel, tel l’olivier, véritable marqueur ADN de notre culture méditerranéenne.  

LE XXIème SIÈCLE,  Renaissance de la tradition méditerranéenne

Les bienfaits du régime méditerranéen à partir des années 80 boostent l’image positive de l’huile d’olive; l’oléiculture française retrouve progressivement un certain dynamisme grâce à une poignée de passionné et avec le soutien de l’Etat et de l’Europe. En témoignent le développement de l’agro tourisme, des routes de l’olivier, des confréries de Chevaliers de l’Olivier et autres musées de l’olivier.

LA PRODUCTION FRANÇAISE, Des huiles d’olive à forte valeur ajoutée

La Production française moyenne d’huile d’olive est de 4.800 tonnes/an, soit 0,16% de la production mondiale et 1,8 % de la consommation nationale.

Les prévisions 2020 sont en légère hausse avec 3.500 tonnes/an  (contre 3.200 tonnes/an en 2019).

Confidentielle, la production française possède une forte valeur ajoutée avec près de 30% de sa production enAppellation d’Origine (1300t). Le bio représente quant à lui plus du 1/4 des surfaces cultivées avec une part de 14,2 % en exploitations oléicoles « professionnelles ».

80% des huiles françaises sont classées vierge extra et 20% vierge (goût à l’ancienne).

Entre 2000 et aujourd’hui on constate une augmentation

  • De 32 % du nombre d’exploitations agricoles oléicoles agriculteurs, Il existe 29.400 exploitations oléicoles (particuliers et professionnels)
  • De plus de 75% des surfaces oléicoles cultivées par des agriculteurs

85% de vergers sont inférieurs à 2 hectares pour

3% de vergers sont supérieurs à 10 hectares.

En 1985, la France comptait 120 moulins (moyenne de 2.000 tonnes), chiffre qui a presque triplé en 2016  avec 317 moulins (moyenne de 5.000 tonnes). 49 % des moulins font moins de 10 tonnes / an.

Entre 2007 et aujourd’hui :Augmentation importantes des surfaces (+ 288 %) et du nombre d’exploitations (+ 234 %) certifiées bio

Professionnalisation partielle de la filière

70 % de la production est réalisée par 25 à 30 % des oléiculteurs

LES TERROIRS, Les lettres de noblesse de l’huile d’olive française.

VARIETES & METHODES

La France possède plus d’une centaine de variétés endémiques et 8 AOP: Aix-en-Provence, Corse «Oliu di Corsica», Haute-Provence, Nîmes, Nice, Nyons, Provence, Vallée des Baux-de-Provence.

A l’instar du vin, les produits agricoles français bénéficient d’une richesse géographique et d’un savoir-faire qui ont su allier tradition et haute technologie.

Le fameux et controversée «goût à l’ancienne / fruité noir/ olives maturées » est le fruit d’un travail minutieux : des olives, de qualité irréprochable, cueillies à pleine maturité subissent une fermentation contrôlée supervisée (avec des thermomètres et des fichiers Excel) pendant quatre à huit jours avant extraction. La fermentation casse l’ardence et les notes végétales pour offrir des arômes légers, plus ronds et plus longs sur le palais, cacao, champignons, vanille… Ce goût très apprécié en France et à l’export, comme au Japon est considéré à tort comme un défaut en raison de son nez dit «chômé» à ne pas confondre avec le défaut du «chômé», qui résulte lui, d’une négligence. Pour être sûr d’acheter un bon «fruité noir» optez pour une AOP Vallée des Baux-de-Provence.

L’huile d’olive française, c’est aussi le fruité vert, avec l’AGLANDAU, la variété la plus répandue du sud de la France, plus spécifiquement dans le Vaucluse et les Alpes-de-Haute-Provence. C’est l’archétype du fruité vert, tonique et harmonieux, aux arômes végétaux, artichaut, fruits à noyau, amande…

Autre variété iconique, la PICHOLINE, que l’on retrouve en AOP «Huile d’Olive de Nîmes» dans laquelle elle représente au moins 70% du lot. Ses notes organoleptiques sont très végétales, avec des arômes de prune ou encore d’ananas.

Autre particularité française, l’huile d’olive de Corse où l’on cultive 6 variétés endémiques. La fameuse SABINE se travaille exclusivement en fruité mûr, avec un  rendement qui peut atteindre 30%. Les 2/3 de la production insulaire sont en AOP.  Sur 2100 hectares cultivés, les 2/3 sont multiséculaires et 8000 hectares sont encore emmaquisés. Épargnée lors des gels successifs sur le continent, l’île de beauté offre un paysage d’oliviers à l’envergure moyenne de 15 à 20 mètres. Cette spécificité Corse à trouvé une réponse technique pour la récolte avec la «chute naturelle» ou récolte à l’ancienne : les «pêcheurs d’olive», comme on les surnomme, tendent des filets pour attraper les olives qui chutent naturellement, par grand vent dès novembre… ou à pleine maturité jusqu’en mai. L’AOP Oliu Di Corsica est un fruité mûr avec très peu d’amertume et d’ardence, très délicate, et très appréciée à l’export. En 2020, la récolte sera exceptionnelle avec des prévisions de 300 tonnes, soit presque 10% de la production nationale (contre 5% en moyenne).

CONSOMMATION IMPORTATION DISTRIBUTION, La France, un acteur clé sur le marché de l’huile d’olive

Les France est le 5ème marché mondial d’huile d’olive, et le 4ème européen avec 3,5% de la consommation mondiale d’huile d’olive.

Un français consomme en moyenne 1,6 kg d’huile d’olive par an.

115 000 tonnes ont été importées en 2019 avec la répartition suivante :

  • Espagne, 80.000 tonnes
  • Italie 19.000 tonnes
  • Tunisie 12.000 tonnes
  • Portugal 2.000 tonnes

Le prix moyen constaté des huiles pour les huiles est de 6,27 € contre 22,40 € pour l’huile d‘olive nationale(plus élevé en grande distribution qu’en vente directe).

On consomme sensiblement la même quantité d’huile d’olive en région parisienne qu’en Provence, avec un pic saisonnier aux beaux jours, d’avril à octobre.

En grande distribution, l’huile d’olive représente 25% de parts de marché des huiles végétales. 50% des huiles d’olive sont achetées en supermarché, 22 % sur les marchés ou en épicerie et seulement 2% directement au moulin. Le e-commerce est en nette progression avec 3660 tonnes.

La tendance bio se confirme, elle a quadruplé ces 10 dernières années.

Vous l’aurez compris, l’huile d’olive et la France, c’est une histoire d’amour et de filiation méditerranéenne perdue et retrouvée. Productrice d’huiles d’olive d’exception, la France est le pays du goût et de l’excellence culinaire. Fidèle à sa tradition d’avant-garde, elle a su prendre il y a 20 ans un virage végétal sous l’impulsion de sa Haute Cuisine avec le chef Alain Passard, (l’Arpège, 3 étoiles Michelin, Paris) qui a abandonné la viande au profit du végétal – il avait obtenu sa troisième étoile grâce à sa fameuse côte de bœuf-.

Depuis, toute une génération de Chefs a compris que l’huile d’olive était l’alliée indispensable du règne végétal. Si l’huile d’olive n’est malheureusement pas encore enseignée au même titre que le vin dans la formation des Chefs, sur ses spécificités de terroirs, certains ont su l’apprivoiser, l’utiliser en harmonie ou en contre harmonie avec les ingrédients. Ce sont eux, Julien Dumas, (Lucas Carton, 1 étoile Michelin, Paris) Akrame (Akrame, 1 étoile Michelin, Paris) Jérôme Banctel (la Réserve, 2 étoiles Michelin) Yoni Saada (Top Chef & Bagnard, Paris) qui lui rendent aujourd’hui ses titres de noblesse, sans oublier l’iconique Chef Eric Briffard, MOF*, ancien Chef du Palace George V (2 étoiles Michelin, Paris) et actuel Directeur des Arts culinaires de la prestigieuse école Le Cordon Bleu International pour ne citer qu’eux.  

Pour « enfoncer le clou », en 2017, coup de tonnerre au concours des BOCUSE D’OR (tous les 2 ans au SIRHA), pour célébrer les 30 ans du plus célèbre concours culinaire au monde, le thème retenu est « réaliser une assiette 100% végétale ». Quand on sait que les BOCUSE D’OR rendent hommage au Chef triplement étoilé Paul Bocuse réputé pour son amour de la crème et du beurre, on peut dire qu’une nouvelle révolution française est en marche…

Remerciements et sources

Un immense MERCI à Alexandra Paris & France OLIVE, UPSM (Union des Professionnels du Savon de Marseille), Sandrine Marfisi, Présidente Syndicat AOP Oliu di Corsica

MOF*, Meilleur ouvrier de France.